Qui veut la peau de la pédopsychiatrie ?

Après avoir passé cinquante années de ma vie en psychiatrie à exercer les fonctions de praticien hospitalier, d’universitaire et de psychothérapeute institutionnel, je dois me rendre à l’évidence que la pédopsychiatrie se meurt. Cette branche de la médecine consacrée à la souffrance psychique des bébés, des enfants et des adolescents, va disparaître faute de moyens humains pour accueillir et traiter les enfants qui en ont un besoin de plus en plus pressant. Les pédopsychiatres sont de moins en moins nombreux puisque seuls 40% des postes de médecins sont encore occupés dans les secteurs de pédopsychiatrie du service public, tandis que le secteur associatif est déserté et que le nombre de ceux qui s’installent en libéral reste microscopique. Les listes d’attente pour une consultation s’allongent démesurément, les services d’hospitalisation ferment faute d’infirmiers et de médecins, alors que la demande se fait ressentir de façon énorme dans la population, notamment depuis une prise de conscience généralisée à l’occasion de la pandémie de Covid 19.
Des adolescents se suicident, des enfants vont mal sur le plan psychique, des parents sont débordés par la toute-puissance infantile, et face à ces tristes constats, quelles sont les réponses de nos dirigeants ? Un soutien aveugle à une idéologie scientiste qui prétend que seules les neurosciences peuvent répondre aux pathologies pédopsychiatriques, la mise au pas des équipes de pédopsychiatrie par les techniques du management, et l’organisation protocolisée des soins selon une logique médicale qui ne suffit pas aux souffrances psychiques des enfants qui sont d’origines multifactorielles.

Comment en est-on arrivés là ? Comment des gouvernements successifs, supposés mettre en place des dispositifs au service de leurs concitoyens pour les éduquer, les soigner, leur rendre justice, les assister, ont-ils pu s’engager dans une casse brutale et rapide des services publics, de leurs professionnels, et in fine, de leurs utilisateurs (je refuse résolument d’employer le terme de clients) ? Et comment, parmi tous ces services publics dont la France pouvait il y a encore quelques temps s’enorgueillir, la psychiatrie et plus précisément la pédopsychiatrie est-elle sacrifiée sur l’autel d’une pseudo-modernité au risque de disparaître purement et simplement ? En un mot comme en mille, qui veut la peau de la pédopsychiatrie et pourquoi ? Ce court texte tentera d’expliquer de la façon la plus accessible et avec un parti pris affiché, celui d’un citoyen, pédopsychiatre et universitaire, profondément épris de démocratie, choqué par les pratiques qui encadrent l’extinction annoncée de sa profession, les raisons qui ont conduit à cette catastrophe culturelle.