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Lettres de la Grande Blasket

Elisabeth O'Sullivan

Éditions Dialogues

  • Conseillé par
    28 mai 2011

    Une belle découverte.

    La Grande Blasket est une toute petite île au Sud de l’Irlande où quelques familles vivent recluses.
    Pendant vingt ans, de 1931 à 1951, Elisabeth O’Sullivan (Eibhlís Ní Shúilleabháin ) entretient une correspondance avec Georges Chambers, un anglais. Devant la beauté de ce témoignage, John décidera de les publier : Les lettres de la grande Blasket voient le jour
    Elle y décrit sa vie sur l’île : l’organisation pour le ravitaillement concernant la nourriture, les tempêtes, les fêtes qui ponctuent les saisons, mais aussi les décès et les mariages (peu nombreux)…
    Leur façon de vivre, leurs coutumes, leurs croyances (fantôme) y sont décrites et restent assez étonnantes pour un citadin londonien tel que Georges. Les questions de la demoiselle sur Londres nous apparaissent naïves et touchantes, mais vivant en autarcie il ne faut pas oublier que rien (ou presque) ne leur parvient de l’extérieur !
    Toutes ses lettres montrent également l’extinction de sa communauté, Elisabeth ayant quitté, elle –aussi, l’île avec mari et enfant.
    Sa langue d’origine n’est pas l’anglais et cela se ressent tout à fait à la lecture. Sa prose est parfois maladroite mais toujours touchante et authentique.
    Ce recueil de lettres me fait vaguement penser au Cercle littéraire d’épluchures de patates, à la différence ici que rien n’est romancé, et que tout est beaucoup plus tranquille !


  • Conseillé par
    14 mai 2011

    Les lettres de la Grande Blasket aux éditions Dialogues Croisés ont été écrites de 1931 à 1951 par Eibhlis Ni Shuilleabhain (Elizabeth O'Sullivan), native de cette île située dans le Kerry, au Sud-Ouest de l'Irlande. Elles sont adressées à George Chambers, un anglais qui avait rencontrée la jeune fille en visitant la Grande Blasket et était devenu son ami. Les lettres sont suivies d'un texte de Hervé Jaouen, le traducteur, qui raconte sa visite de l'île désertée par ses habitants.

    Seul un tiers des lettres de la jeune femme a été conservé pour des questions de format de l'ouvrage. Et je l'ai un peu regretté, il faut bien le dire, parce que l'on finit par s'attacher à Eibhlis et on aimerait en savoir plus sur elle. A travers ses écrits l'on devine son caractère, son courage, sa patience, sa résignation aux décrets de Dieu, ses peines et ses joies et aussi sa finesse, sa sensibilité à la beauté. Quand on apprend subitement qu'elle est mariée, on aurait aimé savoir comment elle avait choisi son mari, pour ne donner qu'un exemple... Bref! entrer plus encore dans l'intimité de cette voix amie comme si ces messages nous étaient adressés en personne. J'adore ce genre de lettres rédigées par des gens du peuple qui racontent leur vie quotidienne avec leurs mots, sans recherche esthétique, mais avec une émotion et un sincérité d'où naît la poésie. La langue de Eibhlis est un anglais maladroit, précise le traducteur, avec un vocabulaire et des tournures gaéliques. Eibhlis raconte la beauté de son île et son amour pour cette terre natale si sauvage, si éloignée de tout. Mais elle parle aussi des privations, des souffrances de ces insulaires qui sont peu à peu obligés de quitter leur île pour s'exiler en Amérique afin de pouvoir survivre.
    Classées par ordre chronologique mais choisies pour leur thématique, les lettres conservées ont pour but de nous montrer les aspects essentiels de la vie sur l'île et elles se révèlent passionnantes, peignant une civilisation maintenant disparue qui nous paraît étrange. Le travail d'abord, très dur, très pénible, quand il faut aller chercher la tourbe en haut de la montagne et la redescendre à dos d'âne, ou épandre dans les champs le goémon que les hommes arrachent à la mer, quand il faut transporter un à un, sur le dos, les moutons ou les vaches que l'on va vendre à la ville par un petit sentier escarpé et dangereux jusqu'au bas de la falaise. Elles montrent aussi les pêcheurs privés de leur seul moyen de subsistance par les tempêtes et l'arrivée de l'hiver. En effet, les conditions climatiques sont extrêmes, l'hiver dure jusqu'à fin d'Avril, les vents sont redoutables, la mer trop souvent déchaînée coupe tout lien avec la terre. Les privations, la disette sont le lot de tous. Parfois, certains n'ont plus que quelques pommes de terre pour survivre. Eibhlis raconte aussi les coutumes, les enterrements, la petite bouteille d'eau bénite que les pêcheurs accrochent à leur canot, les superstitions. Ici on a peur des morts et on croit aux fées. Nous partageons aussi les moments de joie, comme la fête de Noël, qui nous paraissent bien modestes mais qui apportent un peu de gaieté dans le coeur de tous. C'est presque un travail d'ethnologue que fait la jeune femme sans le savoir et l'on devine parfois que son correspondant l'y invite en lui posant des questions précises.
    J'ai été étonnée aussi d'apprendre que la Grande Blasket fut une pépinière de talents, "une île aux trésors" dit Hervé Jaouen : le livre "L'homme des îles" écrit par le grand oncle de Eibhlis, Tomas O' Crohan; "Vingt ans de jeunesse" de Maurice O' Sullivan et "Peig" de Pieg Sayers. Et je suis curieuse de lire ces ouvrages maintenant après avoir fait connaissance de la jeune fille des "Lettres de la Grande Blasket." Je lui laisse d'ailleurs la parole en guise de conclusion avec ces mots si beaux, si pleins d'émotion :

    8 Décembre 1945
    "Niamh* m'a montré un livre il y a quelques jours avec dessus une photo de la vieille maison, et je pleurais presque en la regardant, cependant que le sable des souvenirs faisait s'écouler à travers ma mémoire ces images perdues de la mer si calme et les mouettes qui crient et les canots revenant de la Grande Terre et la Grève blanche, blanche de sable blanc, et comment les bandes d'entre nous y jouaient ensemble comme une seule famille, tellement éparpillée maintenant et même plus un seul enfant sur ces sables blancs abandonnés."

    * Niahm : La fille d'Eibhlis


  • 24 février 2011

    Quelques kilomètres séparent les îles Blasket de la péninsule de Dingle au Sud-Ouest de l'Irlande ; mais la mer est rude et la traversée peut s'avérer difficile voire dangereuse, aujourd'hui encore. Pourtant une communauté s'est accrochée sur la Grande Île — Great Blasket Island, An Blascaod Mór en gaëlique — jusqu'en 1953, où les derniers résistants (une vingtaine) ont été définitivement rapatriés sur le continent. Cette aventure et son dénouement ont connu une singulière notoriété en raison du talent d'îliens qui ont trouvé les mots justes pour exprimer leur attachement à cette terre et au mode de vie en commun qui s'y était développé de longue date. Dès 1936, Raymond Queneau a fait connaître aux lecteurs français le récit de Maurice O'Sullivan, Vingt ans de jeunesse ; plus tard ont été traduits Tomás O'Crohan — L'homme des îles (1989) — et l'Autobiographie (1999) de Peig Sayers. Tout récemment enfin, Hervé Jaouen a pris l'initiative de traduire les lettres adressées en anglais par Elisabeth O'Sullivan à George Chambers qui s'était rendu sur l'île en 1931.


    Ici s'exprime avec force l'intensité d'un déchirement. La première lettre est datée du 29 octobre 1931 et la dernière, écrite sur le continent, du 30 décembre 1951. Entre ces deux dates, Elisabeth O'Sullivan a vécu l'inéluctable déclin d'une communauté, ponctué d'instants proches de l'extase mystique et d'autres empreints d'angoisse, de désarroi et du dénuement le plus rigoureux. La vie intime de l'île s'y exprime sans apprêt : labeur des champs et de la grève, inquiétude quand les hommes prennent la mer, soins aux enfants et aux plus âgés, obsession de la mort — tout le monde profondément intéressé par les mystères de la mort (p. 35) —, vie sociale — il y a ici une maison qu'on appelle le « Parlement » (…) les hommes dans la force de l'âge s'y réunissent le soir … à parler politique et de tout ce qui se passe dans le monde (p. 63) —, accueil des touristes — les visiteurs —, relations avec l'autre côté ou la Grande Terre, et, comme les années passent, la fatalité du déclin — une autre maison de l'île a été fermée dernièrement … imaginez notre île sombrant de jour en jour (p. 120).

    Elisabeth O'Sullivan, son mari et leur fille Niamh se sont résignés à quitter l'île en 1942. Le souvenir porte la marque des rigueurs endurées autant que de l'enchantement d'un monde perdu : « Quand le temps est mauvais ma jolie île ne me manque pas beaucoup mais par beau temps bien sûr je pense à ses beaux paysages que je n'ai jamais tant aimés que maintenant (…) oh comme je voudrais revoir mes parents encore une fois et tous mes amis et m'élancer à corps perdu encore une fois sur la Grève Blanche » (p. 135).

    Comme tous les îliens, Elisabeth s'exprimait en gaëlique. L'anglais ne lui était pas naturel ; c'est dans cette langue pourtant que sont rédigées les lettres adressées à son ami George Chambers. Hervé Jaouen s'est attaché à respecter la tonalité d'une expression où la noblesse de pensée et de style l'emporte de beaucoup sur la maladresse. L'amour de l'Irlande et la familiarité avec le breton parlé ont soutenu ce bel exercice de traduction.

    Source : http://jacbayle.perso.neuf.fr/livres/Irlande/OSullivan_E_Lettres.html


  • Conseillé par
    18 février 2011

    Au bout de l'Europe, l'Eire du large.

    J'ai eu pendant des années la version originale de cet ouvrage dans ma bibliothèque. Mes connaissances en anglais étant pour le moins sommaires, je n'ai jamais eu vraiment l'occasion de le lire sérieusement. Je suis donc très satisfait de la sortie de cette correspondance enfin traduite en français. Et je suis encore plus content que ce soit un spécialiste de l'Irlande comme Hervé Jaouen qui l'ait faite.
    Les Blasket, qui comportent six îles, ont eu le mérite de servir de pépinière à quelques-uns des plus grands écrivains de langue gaélique. Surtout la Grande Blasket (An blascaod Mór en gaélique) dont les vingt deux derniers habitants furent évacués le 17 novembre 1953 sur ordre du gouvernement, qui considérait que la vie était trop dangereuse ainsi, isolée de l'Irlande.

    Eibhlís Ní Shúilleabháin écrit en anglais (qui dans ces îles n'est pas la langue natale), ce qui pour l'époque devait être relativement rare. Mais son anglais est parsemée de mots gaéliques et de tournures de phrases de cette langue.
    Cette correspondance avec Georges Chambers commence en 1931 et va durer plus de vingt ans, mais
    Eibhlís, son époux Seán (John) Ó Criomhtháin et leur fille Niamh cesseront de résider dans l'île dès 1942.
    La vie de tous les jours où la lutte pour uniquement survivre est quotidienne ; d'ailleurs dès la première lettre, l'auteur dit :
    Je suis née le samedi 6 mai 1911, et je pense que cela fera vingt et un ans en mai prochain. Je suis très vieille et vraiment je ne le sens pas du tout. Je n'en ai pas encore la sensation.
    La réaction de ces gens face à la mort est pleine de sagesse. Exemple : si le ou la défunt(e) est âgé(e), la veillée mortuaire est « distrayante », mais très triste si la personne décédée est jeune. J'ai retrouvé à la lecture de ce livre une chose que j'avais découvert mais je ne sais plus dans quel ouvrage, que les enfants morts avant leur baptême n'étaient pas inhumés avec les « vrais croyants », ce qui pour des fervents catholiques est une chose très dure.
    Une certaine naïveté, mais aussi de la curiosité dans ses questions à Chambers au sujet de Londres.
    Au sujet du roi Édouard avec ce jugement définitif, comment a t-il pu abdiquer pour « une telle femme »!
    La vie de tous les jours avec plein d'anecdotes, les matchs de football avec des rames de bateaux plantées dans le sable comme poteaux de buts.
    La naissance de Niamh et la mort de son beau-père coïncident, et à partir de février 1939, le ton des lettres change. Eibhlís semble prendre conscience que la vie sur l'île devient très dure ; elle s'interroge sur le fait d'avoir un deuxième enfants, mais avec quoi le faire vivre ? Le seul travail que son mari pourrait trouver est sur le continent ! La population vieillit, enfin ce qu'il en reste. Au sujet de Peig Sayers, un peu plus riche que le reste de la population, Eibhlís dit :
    Elle n'a rien pour la rendre heureuse ici, aucun espoir du tout.
    Terrible constat..... La fin de l'île est proche.....en février 1941, l'école ferme, faute d'élèves.
    Eibhlís et sa famille, Johanna Dunleavy sa mère, Pádraig, Mike et Seán, ses frères, et Mary, sa soeur, puis Seán (John) son époux, fils de Tomàs Ó Criomhtháin et Niamh, sa fille. Un environnement très littéraire, dans les seules lettres non écrites par Eibhlís, Seán regrette que le livre de Muiris Ò Súilleabháin soit édité avant celui de son père, lequel dans un courrier s'excuse humblement de na pas très bien savoir écrire en anglais.
    Une chose est frappante, c'est pour tous les îliens, le sentiment d'exil qu'ils ressentent dès qu'ils vivent dans la péninsule de Dingle, bien que ce soit une région où la langue principale est le gaélique.
    Le nom de l'auteur est Ní Shúilleabháin, malgré qu'elle soit mariée à John . Elle obéit à une vieille coutume gaélique qui veut que l'on reste la fille ou la petite-fille d'une famille avant d'être l'épouse d'un homme, à noter aussi que le nom féminin subit une lénition par l'ajout d'un "h" en seconde lettre, le nom masculin étant Ó Súilleabháin. Mes trois ans de gaélique m'ont laissé quelques souvenirs, peu il est vrai, mais beaucoup de notes et un livre passablement fatigué!.
    Robin Flower, célèbre linguiste anglais, fut pour beaucoup dans la découverte de la littérature de ces îles qui n'eurent pas trop à souffrir de la présence britannique et dont la langue est restée de ce fait préservée. A noter que les îliens l'appelaient affectueusement « Blaithín » du gaélique « Bláth » fleur !
    Les références littéraires sont bien sûr très nombreuses et en plus des trois auteurs des Blasket, Eibhlís cite aussi James Stephens et son roman « Le pot d'Or », récit, il me semble, un peu fantastique de cet auteur qui participa activement au renouveau celtique du début des années 1900. Elle parle aussi de Synge qui est plus connu pour ses écrits sur les îles d'Aran, mais qui est également venu aux Blasket .
    Je pense que beaucoup de contes, chansons ou musiques ont été perdus. Peig Sayers, par exemple, connaissait plus de trois cents contes en gaélique ; beaucoup ont été sauvés, mais combien ont disparu?
    Un document très précieux qui complète fort utilement les autres écrits sur la vie sur ces îles, témoins d'une époque révolue.
    En postface Hervé Jaouen nous explique pourquoi et comment est née l'idée de cette traduction.