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Rouge de sang
EAN13
9782012017719
ISBN
978-2-01-201771-9
Éditeur
Hachette Romans
Date de publication
Collection
Bloom
Nombre de pages
262
Dimensions
20 x 13 cm
Poids
300 g
Langue
français
Code dewey
804
Fiches UNIMARC
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Rouge de sang

De

Illustrations de couverture par

Hachette Romans

Bloom

Indisponible

Autre version disponible

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Illustration de couverture : Stéphanie Hans

© Hachette Livre, 2009.

Hachette Livre – 43, quai de Grenelle, 75015 Paris

ISBN : 978-2-01-202956-9

Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949
sur les publications destinées à la jeunesse.

À la mémoire de Louise Michel

Prologue

Mai 1871

L'homme jeta son fusil d'un geste rageur. Il n'avait plus de poudre, plus de balles, plus rien. Un instant, il considéra les soldats qui lui faisaient face, là-bas, au pied de la barricade. Eux, ils en avaient encore, de la poudre et des balles. Et surtout, ils étaient nombreux. Bien plus nombreux que lui, et que les autres insurgés. Découragé, il passa la main sur son front où se mêlaient des traînées de sueur et de sang. Fallait-il se rendre ?

Désormais – et tous les hommes perchés sur la barricade en prenaient conscience – la lutte était sans espoir. Ils allaient gagner, ces soldats venus de Versailles pour arracher Paris des mains de son peuple. Les cadavres jonchaient les rues ; la capitale brûlait. Fallait-il continuer ? Continuer et mourir, bien qu'il n'y eût plus d'espoir ?

Descendre de la barricade... se rendre... vivre... Là-bas, dans son berceau, la petite Aurore dormait paisiblement. Il sourit en songeant à sa fille, son bébé, si fragile et si belle. Elle avait juste deux mois. Pourtant, à l'idée de capituler, une bouffée de révolte monta en lui. Sacrifier tout ce pour quoi ils s'étaient battus ? Leurs idéaux ? Leurs espoirs ? Il réalisa soudain qu'il lui était impossible de se rendre. Ce qui se jouait ici le dépassait. Ce n'était plus la lutte des ouvriers contre les bourgeois, ce n'était plus le cri d'une liberté agonisante, c'était... il ne le savait pas vraiment. Mais il savait que le monde qu'ils avaient construit, le monde dont ils avaient rêvé, leur cité idéale était en train de mourir, et qu'il mourrait avec elle.

Pendant soixante-dix jours, ils avaient anéanti les différends, combattu les injustices, triomphé des mauvaises volontés... Et maintenant ! Maintenant ! Voir leurs efforts réduits en cendre par la violence ! Voir s'effondrer ce en quoi ils avaient cru ! La colère le submergea. Il n'avait plus de balles ? La belle affaire ! D'un geste rageur, il se saisit d'une pierre. Il n'avait plus de poudre ? Il avait encore la force de ses bras ! Il envoya la pierre sur ses assaillants de toute ses forces.

Mais l'un des soldats l'avait vu se lever. Il le mit en joue, et tira. La détonation claqua au milieu de la rue et la balle siffla dans l'air, atteignant l'homme au front. Il n'avait pas vingt ans.

La femme était penchée sur un blessé lorsqu'il s'était levé ainsi, face aux fusils, sur la barricade. Immédiatement, son œil avait été attiré par ce mouvement brusque, plein de fierté et de courage. Elle avait pâli. Aucun son n'avait franchi ses lèvres ; pourtant elle aurait voulu crier, lui dire de prendre garde, de... mais il était trop tard. Avant qu'elle ait pu esquisser un geste, il s'était abattu au sol.

Quelques infirmières, d'autres combattants s'étaient approchés, avaient tiré le corps à l'écart. Elle se précipita sur l'homme qu'elle aimait, et qui gisait au sol, immobile. Une flaque de sang s'étirait autour de sa tête. Il était mort. Mort. C'était tellement horrible, tellement insoutenable, qu'aucune larme ne vint. Elle hurla, serrant convulsivement le cadavre contre elle.

Et quand les autres femmes s'approchèrent pour l'entraîner, elle leur cria :

— Nous allons mourir ! Tous ! Jusqu'au dernier !

Elle s'effondra en gémissant. C'était trop injuste ! Partout, on entendait des sifflements de balles, la mitraille fauchait tout le monde, femmes et enfants... Soudain, elle se redressa : Aurore ! Elle l'avait laissée avec sa belle-mère, là-bas, près de Montmartre. Mais l'armée de Thiers, qui avait envahi la capitale, dévastait les quartiers les uns après les autres. Peut-être étaient-ils déjà à Montmartre ? Peut-être allaient-ils s'en prendre à Aurore ?

Elle partit en courant, sans un regard derrière elle. Elle n'avait plus qu'une volonté, à présent, plus qu'un but : protéger sa fille. Sous ses yeux, les rues de Paris défilaient, encombrées d'amas de pierres, de ruines ou de cadavres. Au loin tonnait le canon, et l'on distinguait le rougeoiement des incendies au-dessus des toits. Partout, on se battait : derrière les fenêtres, sur les toits, dans les maisons, les insurgés tentaient d'arrêter l'armée qui les envahissait.

Mais elle n'y prêtait plus attention. Elle en avait trop vu, des combats, depuis une semaine. Une seule chose lui importait, à présent : Aurore. Elle courait, à bout de souffle, en répétant ce nom qui l'aidait à avancer : Aurore, Aurore, Aurore...

Sans s'arrêter, elle pénétra dans l'immeuble, monta quatre à quatre les escaliers jusqu'à la petite mansarde où ils avaient emménagé après leur mariage. Ce souvenir de jours heureux amena avec lui la conscience terrible qu'à présent, elle était veuve. L'enfant dormait dans un coin de la pièce. À ses côtés, une vieille femme.

— Madeleine ? Pourquoi es-tu revenue ? Est-ce que...

Sans répondre, la jeune femme se saisit de l'enfant et entreprit de l'envelopper dans des couvertures.

— Tu es folle ? Que fais-tu ?

— Les versaillais approchent, ils sont partout, c'est horrible ! Je ne veux pas qu'ils la prennent. Ils vont fusiller tout le monde !

La vieille femme ne protesta pas ; elle en avait vu d'autres, des émeutes réprimées dans le sang. Seulement, aujourd'hui, ce n'était pas une émeute, c'était une révolution. Combien de morts faudrait-il pour apaiser le gouvernement ?

Les deux femmes s'engouffrèrent dans l'escalier puis sortirent à l'air libre. Comme elles allaient se précipiter dans une rue et fuir, fuir le plus loin possible, elles entendirent du bruit : une troupe de soldats approchait. Pétrifiées, ne sachant que faire, elles les regardèrent avancer.

— Encore des pétroleuses1! grogna le capitaine, pour qui les Parisiens représentaient une masse indistincte de criminels à abattre.

Sans un mot – comme habitués à présent à cette odieuse besogne – les soldats pointèrent leurs fusils. Visèrent les femmes.

— Par pitié, commença la vieille femme. Elle n'a que deux mois...

Une détonation lui répondit. Elle s'écroula au sol.

La femme, elle, regarda les soldats droit dans les yeux. Elle ne s'abaisserait pas à les supplier. Jamais. Avec tout l'orgueil, toute la fierté encore ancrée dans son cœur, elle les toisa, attendant la mort.

Mais, à sa grande surprise, rien ne vint. La troupe abaissa ses armes, lentement, et le capitaine finit par dire :

— C'est bon. Celle-là, on peut bien l'embarquer. Après tout, pas sûr que le sort qui l'attende soit tellement meilleur.

La femme ne sentit pas qu'on la tirait, qu'on la poussait. Seul un immense soulagement lui étreignait le cœur. Désormais, quoi qu'il puisse advenir, Aurore vivrait, elle en était convaincue. Aurore vivrait, serait heureuse ; Aurore ferait renaître ce en quoi ils avaient cru. Car Aurore était née le 18 mars ; avec la Commune...

La femme serra son bébé contre elle avec anxiété. Bientôt, le jour tomberait. Pouvait-elle encore espérer ? Son regard courut autour d'elle, sur la vaste cour, entourée de hauts murs, dans laquelle s'entassaient des milliers de prisonniers communards. Satory2... Assise dans la boue, elle contemplait les corps éreintés, avachis, en haillons. Ce matin encore, les soldats avaient abattu un homme qui tentait de se dégourdir les jambes. Mieux valait ne pas bouger...

Soudain, elle dressa la tête, en alerte. Était-ce Sophie ? Quelqu'un se dirigeait vers elle, d'un pas pressé. Bientôt, elle n'eut plus de doute : cette élégante robe de soie bleue garnie de franges et de motifs variés, ce port altier, cette démarche hautaine... c'était elle. Ce ne pouvait être qu'elle.

Elle sentit son cœur s'emplir de gratitude. Vivement, elle se leva, et s'avança vers la visiteuse :

— Sophie, tu es venue !

— Oui... Mais regarde-toi ! Vois-tu où tout cela t'as menée ? Épouser un ouvrier !

La visiteuse jetait des coups d'œil effarés au cloaque qui les entourait. L'odeur nauséabonde qui se dégageait du sol couvert de boue, des murs, et même de la paille qui servait de lit aux détenus entassés dans la cour...
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