Roumanie, trafic
La Roumanie communiste n’en finit pas de nous révéler ses mystères. Je ne parle pas de la Transylvanie et du Comte Dracula, mais du trafic d’êtres humains.
Ce récit explique, au travers du périple d’une famille, comment le Parti a d’abord échangé ses ressortissants juifs contre des animaux vivants, des structures agricoles, puis contre des dollars.
Sonia est la petite-fille d’une famille juive roumaine d’abord encarté au Parti, puis destituée. Ils perdent alors leur travail et se décide à partir à l’Ouest.
Jamais ils n’ont compris qu’ils étaient échangés contre des porcs danois aux meilleurs rendements.
J’ai découvert avec horreur ce trafic d’êtres humains par un commerçant en import-export, qui prend sa commission au passage, même si personne n’a jamais su le montant exact de celle-ci.
J’ai découvert qu’Israël avait pris la suite en payant directement en dollars.
Et l’auteure insiste avec ironie sur le fait que les communistes roumains ont réussi là où les nazis avaient échoués : il n’y a plus de communauté juive en Roumanie.
Quelques citations :
… je voudrais comprendre comment, dans la Roumanie des années 1960, un homme juif a ^pu être vendu contre du bétail. Je m’aperçois qu’il a été, avant cela, arraché aux abattoirs où il devait être dépecé comme une bête et ce, au cours d’un épisode que Mihail Sebastian qualifie dans son, journal de « férocité bestiale ». Cela fait beaucoup de bêtes et de bestialité pour un même destin humain, celui de mon grand-père. (p.46)
Erik Orsenna me propose son aide avec l’enthousiasme qui le caractérise : « Vous verrez, le porc, c’est extraordinaire ! Le porc, c’est économique ; le porc, c’est politique ; le porc, c’est moral. On peut raconter toute l’histoire des hommes à travers le porc. » Il ne croit pas si bien dire. (p.183)
Je dirai que mes grands-parents et tant d’autres ont été transformés, à leur insu, en maillon d’une chaine alimentaire dans laquelle un être humain atteindrait un rang supérieur au cheval, mais inférieur au cochon. Le cochon, suprême prédateur. (p.196)
Leur voix ne se brisait qu’à l’évocation de leur maison. (p.213)
L’image que je retiendrai :
Celles des contre-ordres qui empêchent la famille de partir, la Securitate n’étant pas au courant du trafic.
policier, Pologne
Zofia Turbotyńska se lance dans une nouvelle enquête pour trouver l’assassin de sa servante Karolina. Aidée de sa domestique inflexible Franciszka, à la barbe de son mari Ignacy qui n’y voit goutte, Zofia mettra plus d’un an a trouver le coupable.
J’ai aimé les personnages du juge dormeur Rozmarynowicz, le nom de l’enquêteur Lunicorne, l’étudiant sexologue Kurkiewicz.
J’ai eu de la peine pour Léon Brand, le Job des souteneurs cracoviens, dont on apprend en fin d’ouvrage qu’il a réellement existé.
J’ai découvert le costume traditionnelle kontusz, une longue robe sans manche portée par les nobles en Pologne et Lituanie au XVIIe et XVIIIe siècles.
J’ai également appris l’existence de la dynastie royale Jagellon qui régna sur une partie de l’Europe de l’Est ; et me suis rappeler les uhlans (ces cavaliers mercenaires de l’armée de Prusse te de Pologne).
Ignacy m’a fait sourire avec sa manie de coller des coupures de presse dans son album et ses déboires en vélo.
J’ai également appris des synonymes de souteneur : barbiquet ou alphonse, entre autre.
Le godet avec protège moustache m’a surprise.
Enfin, j’ai appris que pour donner plus de goût à la confiture de prunes, il faut rajouter quelques morceaux de noix.
Je m’aperçois qu’avec tout ces détails, je ne vous ai pas parlé de l’intrigue : Zofia va devoir plonger dans le milieu interlope de la traite des femmes.
Encore une fois, j’ai aimé l’humour de la narration et Zofia, féministe qui s’ignore.
J’ai aimé que le crime, au départ qualifié de passionnel, cache en fait une vengeance sordide.
J’ai aimé que la résolution de cette affaire mineure, mais qui tient à coeur à Zofia, mette plus d’un an à être résolu : Zofia ne lâche jamais l’affaire.
Je dois avouer que je n’ai pas trouvé le coupable, tant la machination était sophistiquée.
J’ai aimé que derrière les fastes de l’Empire de François-Joseph il y ai des hommes et des femmes qui survivent comme ils peuvent. Et que le titre du rideau déchiré s’explique.
Enfin, tout au long de ma lecture, je me suis posée la question de la présence du Dr Jekyl et de Mr Hyde (Zofia lit cette histoire dans le journal) : dans l’enquête, qui pouvait bien être l’homme aux deux visages ?
Quelques citations :
le principe de Fredro selon lequel « la famille, soyez-en sûrs, ce sont aussi des humains, bien qu’ils soient parents. » (p.8)
… c’est un affront pour lequel on paye de son sang. – De son sang ? Parfait, dit Zofia en haussant la voix, mais pourquoi du sang d’une jeune fille sans défense, pourquoi ne s’est-il pas jeté sur cet ingénieur, avec son couteau ? C’est un adversaire plus digne. (p.63)
Mais l’idée que le premier freluquet venu, dépourvu d’éducation, puisse donner sa voix dans les élections au même titre que…. je ne sais pas… le comte Tarnowski ?! C’est vraiment contraire au bon sens… (p.99)
Le serf a été libéré de son maître, mais on a poussé la femme dans un servacge encore plus horrible. (p.179)
La saleté et le désordre cachés par la beauté des guirlandes. Le masque du simulacre posé sur une réalité hideuse. (p.305)
L’image que je retiendrai :
Celle du lait Pompadour bien mystérieux pour moi dont se tartine Zofia avant de sortir de chez elle.
20e siècle
Je ne m’attendais pas à cette atmosphère particulière : un homme qui vit seul avec sa tribu au fond d’un village, entre la défaite de Sedan et la fin de la seconde guerre mondiale.
Ses quatre femmes lui donneront jumeaux et jumelles, presque tous au prénom double.
Le silence règne à la ferme, les femmes meurent en poussant des cris, seules paroles. Les larmes aussi sont retenues.
J’ai aimé que la péniche du grand-père s’appelle A la Grâce de Dieu, que celle du père soit nommé La Colère de Dieu, et que la maison du fils auraient dû se nommer A l’aplomb de Dieu.
J’ai aimé Vitalie, la grand-mère, dont les larmes blanches ont un goût de coing et de vanille.
J’ai aimé les étoiles dans les yeux du fils, une pour chaque enfant qu’il aura.
Mais quand il fait alliance avec un loup, j’ai trouvé l’homme reclus moins intéressant.
J’ai aimé le vocabulaire si particulier du récit : les re-tirer / -affleurer / -découvrir. Mon préféré étant déjeter, très présent dans le texte.
Un premier roman, qui date de 1985, de nombreuses fois primés, et qui offre une plongée dans les nuits du début du XXe siècle.
Une citation :
Après avoir été un batelier rejeté par les fleuves, il n’était plus à présent qu’un paysan rejeté par la terre, un amant et un père rejeté par l’amour, – un vivant rejeté par la vie sans cependant être accueilli par la mort. Il était de nulle part. C’ets pourquoi il n’avait nulle ha^te des e relever de ce seuil où il dormait assis. (p.223)
L’image que je retiendrai :
Celle de la fille Margot, la Maumariée, aux treize jupons blancs, chacun correspondant aux treize années qui lui reste à vivre sa journée de mariage éternellement.
camp de concentration
L’amie qui m’a prêté ce roman m’avait prévenu : il est très noir. J’y ai trouvé beaucoup de lumière.
Cet Homme, Pierre Delmain, prisonnier au Struthof (seul camp en France) est chargé d’étrangler les détenus dont le docteur du camp ne veut plus pour ses expériences.
J’ai aimé le narrateur Pierre qui à la fois profite de son travail au chaud et avec du rab’ de nourriture, mais dont le travail est inhumain.
J’ai aimé qu’il donne un nom, même inventé, à chacune des personnes qu’il tue, abrégeant leurs souffrances, parfois.
J’ai aimé qu’il les regarde dans les yeux, accompagnant leur dernier souffle d’un dernier regard.
J’ai aimé sa discussion avec un prêtre qui lui fait connaître Bernard de Clairvaux, lui permettant de s’enfuir par l’imagination.
J’ai aimé Saül Berstein, le collectionneur d’art, qui sourit au milieu des autres sujets d’expérience.
J’ai aimé que la beauté de l’art aide Berstein à ne pas succomber à la noirceur du lieu.
J’ai découvert l’artiste Natalia Gontchareva dont le tableau de descente du Christ en croix obsède Berstein.
J’ai aimé que les deux hommes se croisent au camp, échangent des propos sans intérêt. J’ai aimé cette vie si simple au milieu des ruines.
J’ai aimé que ce roman me parle du corps, celui que perd le narrateur au fur et à mesure de sa tâche. Ce corps qu’il ne se ré-approprie que par petites touches à la sortie du camp.
Un roman qui montre que l’Art (littérature et peinture) nous aide à rester Humain au milieu de la Barbarie.
Un coup de coeur.
Quelques citations :
Tu fais semblant de soutenir le regard de ta victime. Tu lui donnes l’impression de communier avec elle, tout en t’efforçant de ne pas la voir. De t’en éloigner le plus possible… (…) sans toutefois y parvenir. (p.109)
Les hommes savent quelque chose que Dieu même ignore. (…) Ce que c’est que de devoir mourir. (p.131)
L’image que je retiendrai :
Celle du Musée de Cluny que Berstein et Paul visitent chacun à des moments différents de leur vie.
écriture
Il y avait très longtemps que je n’avais pas lu l’auteur, dont le seul titre que j’avais parcouru m’avait déçu (Clara et la pénombre).
Je m’attendais donc à quelque chose de bizarre en ouvrant ce roman. Le bizarre et l’étrange n’arrive que tard, ce qui m’a permis d’entrer dans la récit de cet écrivain amnésique qui revient sur la soirée de son accident.
J’ai aimé que ce roman parle des écrits et de la mémoire ; des écrits changeant ou falsifié et de la mémoire imparfaite.
J’ai aimé l’écrivain doutant de ce qu’il écrit : c’est un auteur, il est payé pour inventer.
J’ai aimé son tic de se frotter le nez du pouce tout en agitant sa jambe droite quand il est stressé.
J’ai aimé le leitmotiv « plein de fantaisie ».
J’ai aimé que les personnages secondaires et de passage soient tous des écrivains d’après le narrateur.
J’ai aimé Muse, payée pour faire ce que l’auteur la paye pour faire afin qu’il puisse écrire son passage.
J’ai moins aimé la théorie du rabat qui présente le livre au lecteur afin que celui-ci ne soit pas perdu.
J’ai passé un excellent moment de lecture dans ce labyrinthe qui continue jusqu’aux remerciements.
L’image que je retiendrai :
Celle du laurier présent sur les tables du restaurant dans lequel le narrateur a passé sa dernière nuit. Daphné signifiant laurier en grec.