Le mangaka de « Deathco » est connu pour son style affirmé, loin des classiques du manga, lorgnant plus facilement du côté des comics. Des encrages sombres, beaucoup de contraste et des personnages aux allures un peu rétro, époque fifties. Dans « Deathco », c’est toute une ambiance qui est programmée. Gothique, carnavalesque, grunge, torturée. Si vous êtes fans des romans d’Anonyme, des films de Rodriguez et Tarantino ainsi que de l’esthétique bizarre de David Lynch, « Deathco » ravira vos mirettes ! C’est un titre grinçant, délirant et jubilatoire, au graphisme magnifié. Un coup de cœur pour ce très bon titre de la collection Sakka de Casterman !
Atsushi Kaneko n’en est pas à son coup d’essai. Après des titres tels que Bambi, Soil ou encore Wet Moon, le mangaka a su montrer que le genre savait se renouveler et pouvait tout se permettre… Si tant est que l’on en a l’audace. « Deathco » met en scène un univers impitoyable où la Mort s’invite à toutes les pages. A travers ses personnages de tueurs à gages déjantés et dépourvus de scrupules, Atsushi Kaneko nous offre le spectacle le plus hallucinatoire du manga seinen. Clowns tueurs, cheerleaders macabres, lapin meurtrier semblant sortir tout droit de Silent Hill… Le mangaka nous invite à un show grand-guignolesque dont on ne sort pas indemne.
Projeté dans un univers fantastique et mortifère où les contrats s’exécutent à la chaine et avec emphase, régulés par une mystérieuse Guilde dont on ne sait presque rien, le lecteur s’en prend plein les yeux. Déluge d’hémoglobine et de corps s’effondrant que vient atténuer l’effet de saturation des noirs, ce manga est à réserver aux amateurs de seinen sombre. L’univers sans concessions d’Atsushi Kaneko est un régal pour qui aime les récits borderline et inventifs. Avec son panel de personnages tous plus étranges les uns que les autres, Deathco est d’une noirceur réjouissante. Un manga peuplé de cauchemars en tous genres, de poupées mortelles et de protagonistes vils.
Au beau milieu de toute cette violence, l’héroïne Deathko est peut-être le personnage le plus inquiétant. Une gamine ( ?) gothique qui se balade toujours en compagnie de sa chauve-souris perchée sur son épaule et qui s’enferme dans sa bat-cave pour créer des jouets mortels, il y a de quoi prendre ses jambes à son cou. Son visuel est très réussi : un peu gothique, un peu clown, trèèès dangereuse. Le graphisme est carré. Les planches savamment étudiées pour apporter tout le dynamisme des scènes mais ne faisant pas l’impasse sur une mise en scène théâtrale quand il le faut (comme lors de l’apparition de l’héroïne qui sort de l’ombre). Du grand délire. Bref, « Deathco » ne se lit pas, ne se vit pas, ne tue pas… il se dévore !
Rarement roman aura pu être aussi bien qualifié de suspense psychologique que celui-ci. « Je sais où tu es » est un huis-clos angoissant qui nous plonge dans l’enfer que vit Clarissa, victime de harcèlement de la part d’un collègue avec qui elle a partagé une nuit. Une nuit maudite qui lui revient par bribes et qui la poussera dans une spirale infernale d’angoisse et de peur. Le récit qui possède deux arcs narratifs différents, alterne entre les extraits du journal intime écrit par Clarissa pour garder une trace de chaque action de son harceleur et son présent où elle est jurée dans un procès pour viol. Le parallèle entre la victime du procès auquel elle assiste et elle-même est vite tiré et on se surprend à remarquer les similitudes malgré deux affaires foncièrement différentes. Car toujours, c’est la parole de la victime qui est mise en doute, avec cette question inadmissible qui revient souvent « Ne l’avez-vous pas cherché ? » « N’étiez-vous pas consentante ? ». NON.
Bien que le début du roman soit parfois difficile à suivre à cause d’une chronologie des faits pas toujours respectés et des bonds en avant assez abruptes, on se retrouve vite agrippé au roman, angoissé par ce que vit Clarissa. De prime abord un peu passive, on comprend rapidement que l’héroïne ne fait que suivre les directives des brochures anti-harcèlement, brochures qui nous accompagnent tout le long, l’héroïne s’y référant souvent comme une espèce d’exutoire qui lui promettrait une fin heureuse. Au fur et à mesure que les jours puis les semaines passent, ce sentiment de perte de contrôle sur sa vie devient de plus en plus prégnant. Toujours regarder par-dessus son épaule, épier derrière son rideau pour savoir s’il est là, renoncer aux sorties entre amis, aux chemins à pied et à toutes les activités de la vie quotidienne. Tout ça devient pesant et le récit se fait anxiogène, surtout lors des passages où Rafe, le harceleur, est physiquement proche d’elle.
La grande force de Claire Kendal est de nous immerger complètement dans le récit en nous identifiant à l’héroïne à l’aide des fameux extraits de journal intime. Comme elle, on se sent épié. Comme elle, on se sent harcelé. Comme elle, on se sent amputé de sa vie. On vit lit la peur au ventre. L’auteure décrit également très bien l’obsession grandissante que ressent Rafe pour Clarissa. Un esprit malade qui prend ses désirs pour des réalités et qui s’imagine être aimé. Au point de prendre à partie ses proches, de manière à l’isoler complètement, pour mieux l’acculer tel un chasseur chassant sa proie. J’en ai eu des frissons de dégoût parfois. Ce mécanisme d’obsession est très bien rendu. De même que le laissez-faire assez commun de la police qui n’agit qu’une fois un nombre de preuves phénoménales accumulées. Et encore, souvent trop tard. Bref, un très bon roman psychologique, plein de tension et à l’atmosphère étouffante.
Les romans de Jeff VanderMeer sont difficiles d’accès. Délicat de ne pas se casser les dents sur « La cité des saints et des fous », le récit étant construit à l’envers et l’histoire foisonnant sur quelques 600 pages. Avec sa trilogie du Rempart Sud, j’ai voulu redonner une chance à l’auteur, surtout que les trois tomes sont assez courts et que le pitch est très accrocheur. Une région interdite d’accès qui rend les gens fous et dont on ne sait rien, à part qu’elle vous change à jamais. Voilà de quoi attirer l’attention ! Pari gagné pour ce premier tome ? Pas totalement. Si « Annihilation » est un roman prenant au suspense constant, il est aussi parfois nébuleux et nous laisse bien souvent dans le flou le plus total. A trop jouer sur le mystère, l’auteur finit par nous perdre complètement et on comprend l’action par bribes, même en faisant un effort de concentration.
La particularité du récit, c’est de mettre au cœur de son intrigue une héroïne dont on ne connait pas même le nom. La biologiste, le quatrième membre de l’expédition envoyée dans la zone X, voilà comment on se réfère à elle. Les trois autres sont ainsi nommées : la psychologue, la géomètre et l’anthropologue. Quatre femmes aux compétences bien définies, quatre femmes parachutées dans une région sauvage et dont la mission tournera vite au fiasco. Cette manière de garder anonyme l’identité de ces femmes renforce la sensation de bizarrerie et de distance qui se dégage du roman. Comme si les personnages n’avaient pas grande importance mais que seule comptait la zone X. Et c’est bien le cas.
Le mystère entourant cette zone à la faune et la flore improbable et luxuriante est rendue avec une abondance de couleurs et de sensations, à tel point que l’on s’y croirait. On sent la moiteur du lichen, les graminées s’envoler et la vie pulser à chaque pas de la biologiste. Les descriptions sont particulièrement précises et appréciables lorsqu’il s’agit de se projeter au cœur de cette région sauvage. L’angoisse qui accompagne les invraisemblances de ce lieu concourt à nous interroger sur la véritable nature de la zone X. De fait, on se demande si c’est l’imagination de la biologiste qui lui joue des tours, si elle a été contaminé et de ce fait, hallucine ou si tout ça est bien réel et dépasse l’entendement. Le suspense, à ce niveau-là, est bien mené, car on ne sait jamais sur quel pied danser.
Peu à peu, en en apprenant plus sur le passé de la biologiste, sur son couple, sur sa personnalité, on perd de vue l’intérêt même du récit. A savoir, l’aspect fantastique du roman. Bien que les souvenirs qui remontent à la surface soient en lien direct avec ses déambulations dans la zone X, la narration se fait plus confuse. On ne comprend pas toujours bien ce qu’il se passe. Bien que je sois persuadée que ce soit voulu, ça reste extrêmement frustrant pour le lecteur qui aimerait en savoir plus ! La plume recherchée de l’auteur est une épée à double tranchant. Si parfois on s’arrête sur une dénomination, une spécificité de la flore, un peu perplexe, elle apporte aussi une belle profondeur au récit. Côté traduction, rien à redire. Surtout que certains passages n’ont pas dû être évidents à adapter. En bref, un premier tome mystérieux et troublant mais qui aurait gagné à être un peu plus clair. Curieuse de connaitre le fin mot de l’histoire, en tout cas !
Dans ce premier tome de « Sangsues » de Daisuke Imai, nous allons à la rencontre des évaporés, ces quelques centaines d’habitants qui, chaque année, disparaissent sans laisser de traces au Japon. Pression monstrueuse au travail, vie de famille difficile, problèmes financiers, on ne sait pas trop. Mais tout porte à croire que ces gens s’évanouissent dans la nature car ils se sentent dépassé par la société. A partir de ce phénomène sociétal réel, Daisuke Imai dresse le portrait d’une jeune femme, Yoko, qui à la suite d’un accident va choisir de ne pas démentir sa mort et commencer une vie parallèle en tant que « sangsue ». Pourquoi donc ce terme ? Parce que Yoko qui ne possède plus d’existence « réelle » s’introduit chez des gens absents (au boulot, en vacances, etc.) pour y prendre une douche, manger, passer du temps… et ce toujours en remettant tout à sa place et en partant avant le retour de la personne, de sorte qu’elle ne se rende compte de rien… En gros, en vivant à ses dépens, comme un micro-organisme qui aurait investi sa maison. Flippant, non ? Qui sait, vous abritez peut-être une sangsue vous-même chez vous sans le savoir…
Ce premier tome pose les bases de ce mode de vie si particulier et nous emmène sur les pas de Yoko, qui s’improvise sangsue sans même en connaitre les règles. Car oui, il y a un code à suivre pour devenir sangsue et Yoko va vite le faire voler en éclats et mettre ainsi sa vie en danger. L’atmosphère est mystérieuse mais aussi angoissante, Daisuke Imai jouant sur le sentiment d’intrusion et de perte de repères qu’opère Yoko et ses semblables. En cela, la mise en scène est très bien faite car elle laisse la place à des arrêts images par images, avec un détail qui change de-ci-de-là mais qui entraine la peur. Un peu comme dans les films d’épouvante où le personnage est allongé sur le lit, il y a une douce brise qui agite les rideaux, tout est calme, puis zoom sur les jambes de quelqu’un qui se tient penché près de lui. De quoi glacer le sang ! On remarque d’ailleurs que dans tout le tome, le mangaka use de procédés cinématographiques et que l’impact visuel est très important pour lui, au détriment peut –être de dialogues peu présents dans ce premier volume. Côté graphisme, c’est agréable à l’œil, avec des contrastes très appuyés. Beaucoup de noir pour renforcer l’aspect angoissant, les mouvements mis à l’honneur, même si on peut regretter le manque de décors qui créé une impression de vide parfois. Néanmoins, l’ambiance est posée, l’intrigue pleine de suspense et notre héroïne fort sympathique. Unejeune fille comme une autre, qui va vivre une expérience hors du commun.
Avant de se lancer dans « Bioshock : Rapture », il faut savoir qu’il s’agit d’une préquelle à la série de jeux vidéos sortis entre 2007 et 2010 (le dernier en date déviant de l’univers original) et que, bien que le roman se suffise à lui-même, mieux vaut connaitre les jeux pour l’apprécier pleinement. Ça ne veut pas dire que vous n’y comprendrez rien si vous ne connaissez pas (vu que le roman revient sur la genèse de Rapture) mais disons que vous n’y prendrez pas autant de plaisir, je pense. Voilà qui est dit. Ce FPS complétement allumé et à l’ambiance bien glauque est un des plus originaux dans le genre. L’univers très poussé et particulièrement prenant m’a très vite donnée envie de découvrir le roman de John Shirley, que Bragelonne a sorti dans une très édition qui plus est. Alors, mauvaise adaptation surfant sur le buzz des jeux ou roman à part entière apportant sa pierre à l’édifice ?
Le récit se déroule aux Etats-Unis à la fin de la 2nde guerre mondiale, en plein milieu de la veine expansionniste où les droits des travailleurs commençaient tout juste à être reconnus. Andrew Ryan, un self-made man épris de liberté et lassé des demandes du gouvernement toujours plus gourmandes, décide de créer une utopie où chacun pourrait réaliser ses rêves, sans restriction ni limites. Ainsi nait Rapture, cité sous-marine autonome loin de tous les regards, havre de paix pour chacun… Non, non ! Rembobinons ! Ainsi nait Rapture, cité sous-marine esclave de ses besoins, loin des regards de la surface mais épiée par son dictateur fou, havre de paix pour tous ceux qui sont prêts à piétiner autrui pour gagner la plus grosse part du gâteau… Là, c’est déjà plus fidèle à la réalité ! Car oui, vous imaginez bien que dans chaque belle utopie il y a un accroc qui ne demande qu’à tout déchirer…
Malgré un début un peu poussif qui explique la construction de Rapture, le récit est immersif et fascinant. Voir cette belle utopie dégringoler et tomber dans les travers les plus grossiers est un vrai plaisir ! On se rappelle de toutes ces belles idéologies qui n’ont pas tenu longtemps face à l’appât du gain, Rapture n’échappant pas à la règle. Liberté pour tous ! (= comprenez pas de répression même si vous faites des expériences médicales sur des cobayes semi-consentants, même quand les expériences tournent à la catastrophe et transforment lesdits cobayes en monstres de foire). Égalité pour tous ! (= comprenez que l’on acceptera que vous usiez des moyens les plus vils pour établir la suprématie de votre commerce sur autrui, même si ça pousse vos concurrents au suicide). Fraternité ? Bah non, à Rapture c’est chacun pour soi, l’entraide, la compassion, la solidarité étant bannis. Tout comme les syndicats, les religions et toute forme d’individualité. Andrew Ryan vous promet un monde sans gouvernant ni loi ni contrôle mais fait construire des statues de lui un peu partout, installer des caméras pour vous surveiller et envoie sa milice quand vous ne respectez pas SES règles. Bref, un bel exemple d’hypocrisie et un univers misérable où la population des « élus » déchante bien vite et dégénère dans son souci quotidien de productivité et d’efficacité. Je me suis régalée à découvrir ce commencement et à retrouver certaines figures emblématiques des jeux. La fin est un peu vite expédiée mais le roman n’en reste pas moins un bon prolongement des jeux.