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Et voraces ils couraient dans la nuit

Jean-Pierre Ostende

Gallimard

  • Conseillé par
    14 mars 2011

    Férocement jubilatoire !

    Ce qui m'avait attiré dans la présentation faite par Gallimard sur la 4ème de couverture du livre , c'était la phrase suivant « satire féroce et pleine d'humour sur le fonctionnement de nos sociétés modernes » .
    Et la remarque n'était pas vaine .
    Les premières pages sont jubilatoires tant la finesse et l'humour y sont présents .
    Chaque phrase est pertinente malgré le ton d'une douce folie sarcastique ; chaque phrase est digne de n'importe quel commentaires journalistiques fiables mais doublée d'une patte d'humour cinglant qui nous fait prendre conscience des absurdités totales qui traversent le quotidien de nos sociétés modernes .


    Par exemple :
    « Pendant des milliers d'années , les objets ont eu plus de valeur que les êtres humains. On pouvait échanger un être humain contre un objet ou des animaux. Accorder plus de valeur à un être humain qu'à un objet , ou un animal , est très récent. Çà ne durera peut-être pas. »

    "En pur Anglais, Brandon a dit que les Américains étaient paranos . Mais en France alors. On n'a pas besoin d'avoir des armes à la maison, nous. On se méfie en permanence de tout le monde.
    (…) Nous savons nous méfier aussi bien que râler, ce qui n'empêche pas la bonne cuisine . »

    Dès les premières lignes on est irrémédiablement séduit par le style de l'écrivain qui nous permet avec efficacité et humour de nous glisser dans les chaussures de son personnage principal .
    En 2 pages déjà on est conquis car l'auteur parvient à dresser un portrait de notre société en parallèle des angoisses de Jacques Bergmann : « Le besoin d'accumuler s'était répandu partout dans le monde sans modération », « d'un coté je me suis répété que je ne devais pas montrer mes sentiments » (…) « D'un autre côté, il faudrait que je cesse d'être passif » (…) « Je pourrais m'inscrire à un cours par correspondance ? (…) « apprendre par coeur la leçon La méthode pour gagner? Ou mon coach et moi? » . Même si il est difficile pour moi ici de diffuser le ton ironique et l'humour de Jean-pierre Ostende , celui est indéniable et d'une belle finesse emplie d'une note de sarcasme , un humour décalé. « autant la ville que la campagne , tout me paraissait monotone, ma vie était de l'eau de vaisselle »

    Un bijou d'intelligence et d'humour . Chaque chapitre sera à prendre en citations tant chaque phrase est amusante, bien écrite, animée d'une boule d'énergie créative.
    Jubilatoire !

    On a l'impression de lire un long one man show man à la Desproges ...mêlant l'absurde à des vérités de notre monde , des vérités tellement énormes que l'auteur a préféré les traiter sous la forme de ce roman si original . Un roman qui pourrait faire l'objet d'une pièce de théâtre ou d'un court métrage tant les personnages sont intenses et complétement différents de ce que l'on a l'habitude de voir.

    Ces experts de l'audit d'entreprise vont devenir très vite de véritablement enquêteurs , l'audit va ressembler de plus en plus à une enquête ; les experts vont utiliser des mots d'inspecteurs, et les employés vont se comporter tous plus au moins comme des victimes ou des suspects .

    « Sans tourner autour du pot certains nous qualifiaient de liquidateurs.
    Nous devions rectifier: nous ne sommes pas des agneaux, mais nous ne sommes pas là pour vous liquider.
    « Ils ne pensent qu'à çà, dans toutes les entreprises, quand ils nous voient arriver , ils pensent qu'on vient les liquider. Ils sont sous-alimentés en confiance. »

    Une ambiance terrible au sein de l'entreprise mais complétement loufoque pour le lecteur !

    « Nous devenions des acharnés . On ressemblait à des bourreaux .Je le regrettais. »

    « Brandon a dit : « Le suicide par fair play est rare ».
    Tout le monde s'est méfié de tout le monde.
    Jamais l'eau qui dort n'a été aussi suspecte. »

    « Pour l'instant la présidente était invisible , elle était sans corps; ce qui ne signifiait pas absente. Son absence était envahissante et nous conduisait au cul-de-sac.
    Pourquoi tous les dirigeants sont-ils occupés? Pourquoi sont-ils si débordés. Tout le monde dégaine son emploi du temps forcément surchargé. »

    Chez Petra, les dégradations et les complications s'enchaînent , le quotidien devient explosif , c'est l'enfer des rumeurs en tous genres :

    « La peur croit tout (emprunté à Jules Michelet) .
    La peur , oui. »

    « Une de nos règles majeures: ne jamais répondre dans l'instant, toujours laisser refroidir la réponse, prendre de la distance, geler la colère.
    Ne pas se précipiter, quoi qu'il arrive. Sur le modèle des consignes en cas de catastrophe, rester calme, évacuer le bâtiment en silence. Sauf que nous n'évacuions jamais. »

    Ces consultants viennent effectuer une révision de la société PETRA , mais ne devraient -ils pas ,eux également , faire l'objet d'une expertise qualitative sur les méthodes utilisées et sur leur bonne santé mentale ? Notamment lorsque l'on lit ce genre de phrases : « Il faudrait être inconscient . Rien du tout. Je ne prenais plus rien du tout. Pratiquement.
    Je veux survivre. Je suis propre et clair. A part l'alcool. Mais l'alcool...
    Ce serait suicidaire de tout arrêter.
    Il faudrait être un samouraï. »

    « Sanglier » le patron des experts de DARWIN, est tel un gourou qui les encourage et leur indique la voie à suivre avec une prière matinale , celle d'un parachutiste de la seconde guerre mondiale (!!) , pour démarrer la journée !!
    Le ton est complétement décalé et cela tout au long du livre ; on a le sentiment d'être dans le délirium des employés de PETRA et dans celui des experts. On se dit que ces situations ubuesques qui s'enchaînent, font partie du délire , d'une illusion collective .« A mon avis l'inquiétude favorise le rire mais aussi les croyances. ».
    J'ai vraiment adoré ce ton décalé omniprésent et de nombreux passages sont vraiment réjouissants : « Chaque employé se sentait suspect. Certains se trouvaient coupables. »(...) « Jacques, écoute-moi. Tu m'as l'air bien pâle ces derniers temps. Il faudrait t'endurcir si tu veux survivre. Ça serait bien que tu envisages de pratiquer une activité...solitaire et ascétique...quelque chose qui t'endurcisse... Peut-être suivre des cours de peinture ? » , ou le chapitre « l'exterminateur » est une belle illustration de cet humour féroce.
    Difficile de traduire ici en quelques phrases , l'humour de l'auteur mais je vous conseille fortement de lire ce livre qui est un ovni dans le monde littéraire car sous couvert d'un humour sans fin ,il soulève la cloche des bizarreries de la société actuelle et nous envoie tous ses excès en pleine face ...avec dérision !