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La Guerre Mondiale
EAN13
9782746503885
ISBN
978-2-7465-0388-5
Éditeur
Éditions du Pommier
Date de publication
Collection
ESSAIS & DOCUME
Nombre de pages
192
Dimensions
20 x 14 cm
Poids
227 g
Langue
français
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La Guerre mondiale ? Celle que les hommes font au Monde.
Nous prenons conscience aujourd’hui que l’adversaire dans cette guerre n’est autre que le vaisseau où nous sommes embarqués. Vainqueurs ou vaincus, nous risquons de couler ou disparaître.
Quand le bateau fait eau, les matelots continuent-ils à s’entredéchirer ? Cette guerre nouvelle nous protégera-t-elle donc de celles que nous nous livrons les uns aux autres ? Voilà le pari, l’utopie de ce livre.

Ce livre d’espoir, Michel Serres a voulu en faire aussi un livre de vie et de souvenirs. Violence, conflits, terrorismes, questions de droit et d’origine… il les traite, certes, en philosophe, mais aussi en soutenant la réflexion par dix récits déchirants.
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Interview de Michel Serres

Propos recueillis le 19 janvier 2009

Dans La Guerre mondiale, votre nouveau livre, vous nous présentez la guerre non pas sous l’angle de la stratégie ou de la tactique, mais vous nous dites que la singularité de la guerre c’est la tuerie, le massacre. Et vous précisez que la guerre dont il s’agit, la Guerre mondiale, c’est la guerre que l’homme livre au monde.

J’ai fait trois livres sur une question centrale : la question de l’environnement. J’avais, il y a une vingtaine d’années, écrit un livre qui s’appelait Le Contrat naturel où j’avais dit que les solutions relevant de l’environnement étaient surtout des solutions de droit. Dans un second livre qui s’appelait Le Mal propre, j’avais dit que la question de droit était une question de propriété et que polluer posait la question du droit de propriété. La Guerre mondiale est un livre où je me pose la question du contrat naturel.

Pourquoi ? Parce que le contrat en question était une sorte de traité de paix, de pacte. On dit d’ailleurs aujourd’hui pacte écologique, ce qui signifie exactement la même chose que le contrat naturel. Mais s’il y a un pacte, alors c’est qu’il y avait une guerre puisque pacte veut dire traité de paix. Je me suis posé la question de savoir si notre rapport au monde dans nos actions, dans nos entreprises, dans nos industries, peut-être même dans l’agriculture était une question de stratégie guerrière. J’avais dans l’esprit que ces questions étaient des questions de droit international qui touchaient beaucoup les problèmes de rapports de conflits.

Or, j’ai été amené à autre chose : comme il s’agissait de guerre, c’était pour moi un livre très personnel, un livre très important étant donné mon âge. Mon père était un rescapé de la boucherie de Verdun, ma mère avait beaucoup de chance de se marier parce que toutes les amies de son collège avaient été fiancées avec des gens qui sont morts à la guerre. Mes premiers souvenirs, puisque je suis né non loin de la frontière des Pyrénées, étaient les récits que faisaient de la guerre civile espagnole aussi bien les Blancs que les Rouges (1936-1937).

Puis la Guerre de 39 est arrivée. J’ai aidé les réfugiés qui venaient des Flandres, qui venaient du nord, de l’est ou de la Belgique à trouver un logement, à s’habiller, à sortir de leur misère. Puis il y a eu la Libération et puis la Shoah, Hiroshima, Nagasaki, le bombardement de Dresde et, dès lors que j’ai été obligé de partir sous l’uniforme, ça a été la guerre d’Algérie et, avec la Marine, j’ai contribué à la guerre anglo-franco-égyptienne et à la réouverture du Canal de Suez.

Pour les gens de mon âge, c’était donc tout le temps la guerre, la guerre, la guerre. Tout ça pour dire qu’il s’est passé à partir de là un événement dont nous n’avons peut-être pas conscience de la nouveauté ; cette nouveauté est très simple : elle consiste à dire que, depuis 65 ans, l’Europe occidentale est en paix. Cela fait curieusement une coupure étrange entre les gens qui ont connu la guerre et les gens qui n’ont connu que la paix.

Et j’ai une question à vous poser, vous qui n’avez pas connu la guerre : est-ce qu’en vous levant le matin vous avez souvent posé la question « ah, je vis en paix » ? Vous n’avez jamais posé cette question. Pourquoi ? Parce que la paix, c’est l’oubli de la paix ; tandis que les gens de ma génération ont une conscience très aiguë. La guerre c’est la mémoire et la paix c’est l’oubli. Deuxièmement, avez-vous conscience également que les gens qui nous gouvernent aujourd’hui, qu’il s’agisse de Bush ou d’Obama aux Etats-Unis, de Gordon Brown en Angleterre, d’Angela Merkel en Allemagne ou de notre président actuel, avez-vous conscience que ce sont des gens qui n’ont jamais connu la guerre ? Cela n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’Europe occidentale depuis des centaines d’années. Il n’y avait pas d’exemple de chef du gouvernement qui n’ait pas à un moment forcé d’être chef de guerre. Cela fait une distance énorme du point de vue historique car la guerre fait l’Etat et l’Etat fait la guerre, disait-on dans les amphithéâtres de Sciences Politiques. Aujourd’hui, cela fait une différence gigantesque. J’ai donc été amené à réfléchir sur ce qu’était la guerre, comment on pouvait la définir, etc. Et j’ai à nouveau retrouvé les problèmes de droit dont je parlais à propos du Contrat naturel, à propos du Mal propre.
Et j’ai été forcé de définir la guerre comme une institution de droit puisque la fin de la guerre est sanctionnée par une signature d’armistice, c’est un traité de paix qui est évidemment de type juridique. Et, s’il n’y a pas de droit, ça s’appelle le terrorisme. Le terrorisme est effectivement le même type de violence mais sans droit.

J’étais persuadé jusqu’à un certain âge que la guerre c’était la violence pure. D’ailleurs, beaucoup de philosophes la définissent comme telle : la guerre de tous contre tous. Ils se trompent. Etant donné que la guerre est encadrée par des principes de droit, la violence est limitée. La première question était donc un livre personnel sur lequel je développais ma propre expérience. Le deuxième c’était réfléchir vraiment, de manière un peu fine, sur ce que pouvait être la guerre. Mais le vrai sujet est précisément le fait que nous sommes en guerre contre le monde.

L’expression « guerre mondiale », qui est le titre de mon livre, signifie, pour la plupart d’entre vous, ou la Guerre de 14 ou la Guerre de 39-45, qui sont les deux guerres dites mondiales. Mais je crois que les spécialistes des langues trouvent que l’adjectif « mondial » est assez mal utilisé dans ce cas là. En effet, l’adjectif désigne l’adversaire. Ici, il signifie donc la guerre que nous faisons au monde. C’est là que je retrouve les problèmes de pollution, d’environnement, de réchauffement de la planète. A cause de ces transformations profondes dans la société d’aujourd’hui, on s’aperçoit que même le concept de guerre est en train de changer fondamentalement. Et qu’aujourd’hui il faudrait imaginer quel serait le droit, dans cette nouvelle stratégie ou cette nouvelle guerre, qui serait là pour que l’on puisse faire la paix avec les nouveaux adversaires.

Mon livre est une sorte de pari, d’utopie : est-ce qu’on peut faire le pari que, plus on se met en danger concernant la planète, plus on aura conscience de ce danger là ? Le philosophe allemand Hegel a décrit avec beaucoup de talent et d’émotion la lutte du maître contre l’esclave. Il a d’ailleurs écrit qui va gagner à la fin. Il décrète que l’esclave va devenir le maître du maître. Mais cette description a un défaut majeur, un défaut fondamental : c’est qu’Hegel ne dit pas où, à quel endroit a lieu cette bagarre. Or, le peintre espagnol Goya a donné de ce conflit une image beaucoup plus raffinée que celle du philosophe.

Dans un tableau relativement célèbre, Goya représente deux hommes en train de se battre dangereusement. Qui va gagner dans ce jeu à deux ? Cette question est l’illusion du spectacle politique contemporain. Or, le véritable enjeu aujourd’hui c’est un jeu à trois. C’est Goya qui a raison et pas Hegel, c’est-à-dire qui va gagner ? C’est les sables mouvants. Parce que les deux adversaires dans le tableau de Goya sont tous les deux dans des sables mouvants et, à chaque coup donné, ils s’enfoncent davantage. Et, par conséquent, on a beau se battre les uns contre les autres, c’est la planète qui va gagner, elle va gagner contre l’espèce. Quel droit sera important pour essayer de faire la paix en question ? Je réponds par une métaphore : dès que le vaisseau est en danger de couler, alors c’est le moment où les adversaires doivent se réconcilier pour réparer les avaries dans le bateau.

Mon livre est un livre sur l’environnement, c’est un livre qui traduit toutes les questions que nous avons aujourd’hui à l’esprit dans des termes de stratégie de guerre et de droit, et conclus par une sorte de pari, une sorte d’utopie, par une sorte de rêve qu’il y aurait une paix possible entre les hommes à cause du danger que nous courons dès lors que nous faisons la guerre contre le monde. Il faut donc faire la paix avec le monde pour aboutir à la paix entre nous. C’est ça, au fond, la conclusion de mon livre. Je ne connais pas de progrès historique considérable qui n’ait pas été préparé par une utopie de ce genre.

Comment s’amorce la décrue du déluge et comment naît le droit ?

On ne sait pas. Toute la question est de savoir comment reculer dans la guerre en question. Je n’ai pas de réponse à cette question. Aujourd’hui nous ne savons pas comment on pourrait traiter le système qui est en train de faire la bataille contre le monde. La seule manière d’arrêter la chose, c’est que chacun d’entre nous ait de plus en plus conscience du danger que nous courons. Comment naît le droit ? On ne le sait pas et on le sait. On ne le sait pas parce qu’il n’y a sur la naissance du droit que des histoires où il se cache. Supposons qu’il n’y ait pas de droit, alors il n’y a que du non-droit, c’est-à-dire ce que j’appelle le terrorisme. Dans des endroits de non-droit vont se réfugier tous les assassins et les violeurs ; ils n’ont ni police ni tribunaux. Dans des histoires comme Robin des bois, dans le sport, l’arbitre est l’homme qui est le représentant de la naissance du droit. Le problème aujourd’hui c’est d’avoir un droit. Comment ? Je me demandais si on ne pourrait pas instaurer un tribunal – comme celui de La Haye, investi du pouvoir de juger des chefs d’Etats pour crimes de guerre – lequel tribunal jugerait de crimes contre la planète.

À l'occasion d'une belle rencontre à la librairie, Michel Serres nous présentait, le 19 janvier 2009 son livre La guerre mondiale (éditions du Pommier).

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